| EN
Je voudrais quelque chose de dense,
et d’organisé en même temps,
comme un opéra,
avec une introduction très muséale,
une partie tragique et chaotique,
une partie violente,
une pastorale bucolique,
et un hommage rendu au mort.
Hervé Ic,
« Le jour où la guerre s’arrêta »
Hervé Ic,
Des halos de peinture
« glam électro »
sur principe hétérogène,
et sous comédie humaine.
par Frédéric Bouglé
collection mes pas à faire au Creux de l’enfer, 2007
1999, « Actiondirecte », cimetières et natures mortes,
De ce que Bataille nomme l’ »hétérogène »,
La norme morne du quotidien,
L’actualité n’est qu’un maquillage, qu’un déguisement,
Des sujets peints travestissant la réalité du second plan,
Une brisure du comportement,
Sous les effets des motifs décoratifs,
Quelque chose qui agit.
De même qu’on ne sait toujours pas comment les fleurs savent qu’elles doivent fleurir, on ne sait pas non plus pourquoi Hervé Ic se met à peindre des fleurs. Pour le jeune artiste, ironique, cela a commencé avec des tableaux de scènes intérieures, paysages, couple de mignons oisillons perchés sur une branche (motifs sans âge de papier peints pour chambre d’enfant), cimetières fleuris, sujets indistincts de natures mortes. Pourtant, bientôt, d’autres travaux traduisent une occurrence plus difficile ; il en est ainsi de cette série réalisée en 1999, et qui représente deux hommes, arme de poing à la main, mais semblant attendre paisiblement dans la vie ordinaire d’un appartement. L’intitulé du tableau, Actiondirecte, cadre le sujet à une autre époque, aux années soixante-dix probablement.
Un principe de « déphasage » de l’action, du mental et du temps s’enchaîne sur une brisure de comportement en rapport à l’autre. Le tragique, le sombre, le malaise social, l’inconnu en soi, bref, ce que Bataille nommerait l’hétérogène, est ici refoulé, repoussé par la norme morne du quotidien, et chacun s’ignore. Il en est de même des portraits masqués, des nus féminins et masculins, corps déshabillés, comme libérés, assis sur des chaises à défaut d’êtres allongés sur un divan, mais bien seuls. Les fonds des tableaux sont évocateurs, ornés comme la modernité de fioritures enchanteresses, travestissant le sujet du premier plan.
L’apparence, l’actualité, la convention ne sont que maquillage, déguisement ; le passé un succédané du présent, quelque chose d’autre agit qui ne se donne pas à l’image, quelque chose de caché, de sournois, d’angoissant.
« La mort, la mort,
la morphologie de la méta, de la métamort, de la métamorphose
ou la vie,
la vit vit, la vie-vice, la vivisection de la vie, étonne et et et est
un nom, un nombre de chaises, un nombre de seize aubes et
jets, chaises, de seize objets contre, contre la mort ou, pour
mieux dire, pour la mort de la mort ou pour contre, contre la,
tout contre la vie sept, c’est-à-dire pour, pour une vie, dans
vidant, vidant, dans le vidant vide
évidé, la vie dans, dans, pour une vie, pour une vie dans la
vie. »
Ghérasim Luca
De Goethe, de Cronenberg,
De la pensée sans corps,
La face et la farce humaine.
L’être humain, selon Goethe, ne conçoit jamais à quel point il est anthropomorphe. Plus récemment, David Cronenberg l’exprimait en ces termes : il n’y a pas de pensée sans corps, tout vient du corps, tout finit par le corps, tout se vérifie par le corps… On vérifie la vie, on vérifie la mort dans le corps. Les peintures d’Hervé Ic enchaînent sur cet étonnement, creusent dans ce postulat mordant, elles retournent la face humaine. Les visages masqués, difformes, en escamotent l’étonnement. Les corps seront figés dans une pose ou au contraire en transe, des corps nus ou habillés, libérés ou guindés, esseulés ou pris dan un jeu d’altérité sensuel et courtois. Hervé Ic, sous des jeux de paillettes du figural peint, délivre ses modèles d’un mode d’enfermement. Si les « danseurs » sont désinhibés, alors des arabesques compliquées s’inscrivent, à décrypter, tatouages de filaments blancs qui s’ajoutent à la scène. Mais les surfaces toujours scintillent, ainsi que sur un plan d’eau miroitant sous le soleil, des moirures, des extravagances de lumière qui charment l’oeil.
Sous l’identité du «je», du « mien », du « moi ».
Ce que l’artiste dépeint dans ses personnages, c’est sa réactivité aux autres et à son environnement. Parfois, avec une certaine férocité, leurs images sont déformées, comme vues à travers la loupe de leur condition réelle. Le propos de l’artiste, bientôt, s’ouvre à l’envers de la matière picturale, dans l’expérience laborantine des couleurs, dans l’enluminure de l’irreprésentable, dans la pensée sans corps, sans organe et sans visage. Il fouille sous le portrait sous l’identité névrosé du je, du mien, du moi. Du figuratif il obtient ce qui lui succède, un intermédiaire, ce qu’il y a de subhumain dans les traits d’un visage et l’attitude d’un modèle. Il en dévoile les aspirations internes, les illusions produites par son époque, son énergie libidinale, sa structure de forces mentales. Les tableaux sont illuminés d’une intériorité suprafigurative qui propulse des jets luminescents, fascinants, meurtriers pour l’image feinte.
La vie, c’est une pute,
La vie, l’art, c’est la guerre,
Des vaisseaux damasquinés d’or,
Le cristal, le stuc, l’enchantement,
Des mirages de rêves et des images d’orage.
La vie, l’art peut-être, pour Hervé Ic, c’est la guerre ; une guerre vécue sur les planches bien réelles d’un « opéra » funeste, des scènes, des portraits, des témoignages bien vivants qu’il recompose dans sa peinture, là où le souffle ravageur des mots ne compte plus guère. Dans la cuisine de sa peinture, tout se passe par étapes, et par la cuillère d’un pinceau précis, souple, expert.
Mais la guerre de la vie est là tout entière, entière dans son aventure saisissable, incomprise dans la perte d’un ami proche dont il fera le portrait, entier, masqué, ou lumière sans visage. La vie ? je sais à quoi m’en tenir, c’est une pute ! disait David Hockney, même si on devine pourtant tout l’amour qu’il a pour elle dans l’absurde de son Harlequin marchant à l’envers, sur ses mains. Car la vie dans sa cruauté est admirable, baroque, comme le son ces tableaux de batailles navales.
Superbes vaisseaux royaux damasquinés d’or, des canons ciselés surgissent de leurs flancs, crachent dans la nuée blanche des projectiles multicolores, toutes voiles ouvertes sur des vents luminescents. L’ornementation kitsch, le luxuriant, le monumental, le triomphalisme, le trompe-l’oeil et la perspective, l’émotion, les angelots, les grands lustres de cristal, l’or, l’argent, le cuivre, les miroirs, le stuc, bref, tous les ingrédients de l’aventurier sont là.
La peinture, peinture de guerre, sérielle et atemporelle, enchanteresse et florissante, voyage sur des mers profondes, mortelles, sur des houles, sur des roulis transparents. Une vie qui se répand ici au pinceau, cheveux légers, impalpables, embruns sur la toile, crinière d’écume. L’odeur de l’huile se mêle à l’odeur imaginaire du soufre et de la poudre, sabrant l’opaque et le diaphane, le mythe et le rythme, le mirage d’un réel et un réel d’orage.
BACKPORTRAIT
Les portraits de dos dans l’histoire de l’art,
Le poseur et le portraitiste,
Solitude, délaissement, arrogance.
Les portraits de dos appartiennent à l’histoire de l’art, à des dos féminins. Ainsi Abraham Janssens en 1596 représente Syrinx dans Pan et nymphe parmi les roseaux, Francesco Furini au dix-septième siècle avec Loth et ses filles, Antoine Watteau avec Le Jugement de Pâris, ou encore le célèbre Bain turc d’Ingres en 1862, dont Man Ray reprendra le sujet en photographie, et sur laquelle il viendra dessiner les ouïes de l’instrument de musique. Rodin reprendra cette tradition en 1899, avec Femme nue assise et de dos, comme Christoffer Wilhelm Eckersberg avec Femme au miroir, jusqu’à des artistes contemporains, dont l’excellent Marc Desgranchamps. Mais les portraits de dos, méthode Hervé Ic, relèveraient davantage de Caspar David Friedrich, corps entier, masculin ou féminin, habillé comme Le promeneur contemplant la mer de nuages, ou Devant le miroir, ou encore Femme devant la fenêtre. La pose en question accuse une distanciation entre le poseur et le portraitiste. Si elle suggère l’identité du modèle, elle ne le confirme pas pour autant, à moins que le titre en porte le nom, car le visage est absent. Dans le portrait de dos, on est face au dos d’une présence, à une manière d’être identifiable uniquement par une connaissance. Le peintre agit comme s’il surprenait quelqu’un qui songe à autre chose, ou qui pense à partir. Quant au sens de l’acceptation d’une telle pose, est-ce par humilité ? par repli ? par contentement de soi ? voire par arrogance ?
Que dire quand le mur est son miroir ou le miroir papier peint du monde. Joe Dassin l’aurait résumé ainsi : Seul devant ma glace, je me sens un peu triste sans savoir pourquoi.
Une pantomime humaine boude la scène,
Son corps est dans ses habits,
Son âme est dans ses façons,
Des modèles qui posent du vertex aux talons,
L’iris présent de leurs yeux absents.
Avec ces portraits d’amis, peints de dos, nul n’est besoin, pour elle, pour lui, de voir la guerre de la vie en face, personne n’en fait l’économie, son corps est dans ses habits, son âme est dans ses façons.
Tenue adoptée, attitude posée, tout est langage, tout est image à étudier. Ainsi saisi, dans l’arrêt de la posture où le modèle campe (chacun prima donna de son propre opéra), dans sa pantomime humaine l’acteur boude la scène (le théâtre de la vie sociale et ses rituels). Mais Hervé Ic, par le versus du procédé qu’il dépeint dans le fond du tableau, s’intéresse davantage à la singularité de ses modèles. Chacun unique avec son mur en face, chacun le visage invisible aux yeux des autres, alors nul besoin de masque.
Tel un pigment mélanique en arrière-plan, la toile retourne dans sa gestuelle les couleurs profondes des qualités humaines, la prunelle de leurs yeux absents. Si les yeux sont les fenêtres de l’âme, comme l’affirme Pascal, ici ils se renvoient par les murs et par les vêtements, et sur des fonds aussi personnels que des couleurs d’iris qui seront, selon, aubergine, bleus, verts, veinés, sombres, vairons, marrons, marbrés, étoilés, spiralés, fleuris, riants, ténébreux, étincelants.
Ainsi, dans ces aplats de couleurs expressives, dans ces jeux de coloris subtils, dans la texture des habits cotonneux ou soyeux, Hervé Ic transfère leur regard sur la surface entière de la toile, l’aura de celles et de ceux qui posent du vertex aux talons.
FREAKS
Des visages semi-masqués,
Des visages à l’image tronquée,
Le masque de la comédie humaine,
L’intériorité d’un visage modulable,
Le masque de la commedia dell’ arte,
Cette grandeur lumineuse, le sujet même du tableau.
Dans cette série de toiles commencée en 1999, mais non exhaustive, intitulée « Freaks », les portraits ne sont plus de dos, ils se donnent à voir de face, mais dans une lisibilité tronquée. Ce sont des visages couverts d’un demimasque, des figures affichant des loups satin et scintillants, comme si « l’apparence » dévoilé à l’hétérogène, ainsi que le pensait Schopenhauer, était une malédiction, et que toute représentation supposât, pour quelqu’un de mal assuré, une condamnation. Car le visage est modelé par soi-même, par la personne qui l’affiche, et à la fois par la norme, par la mode, c’est-à-dire par les autres. En d’autres termes le visage est inné, et le visage est acquis. Mais, sous le masque de la commedia dell’ arte, sous cette peinture Pietro Longhi, sous ce faciès modulable à la comédie humaine, des lumières échappent à l’image feinte, une étrange blancheur sans image, une intériorité sans visage. Et nous verrons que ce sont précisément ces fonds de grandeurs lumineuses, privés de visage, qui seront bientôt l’image, le sujet même du tableau.
RAVE/ RODOX
Les danseurs, des ados,
Décor de l’Erèbe née du chaos,
Des arabesques évanescentes,
Des drawing lights de Picasso
La puissance de l’éros,
Des phosphènes virevoltent sur la toile.
La danse, tout comme le luxe, tout comme la peinture, gagne à s’apprendre tôt. Ces images de danseurs, scènes de rave techno, toutes capturées sur la toile du réseau, témoignent, à priori, de l’ambiance dithyrambe électroacoustique, décor de l’Erèbe née du chaos. Des ados, filles et garçons, ménades torses nus, en sont les héros. Des petites lumières scandent le tableau, des graffitis blancs transpirent de la toile. Les corps sont transparents, les regards démunis sont dirigés en face, comme si l’autre était mort ou n’existait pas.
Toute pensée, consciente, est un moi égocentrique qui gît dans un corps remuant, pensée emmurée vivante dans sa coquille physique, dans son habit de chair sensuel, un habit qui s’affirme ici dans l’assurance svelte de son âge le plus attrayant. La conscience est vivante, partenaire de son propre corps, c’est une sphère lumineuse avide de comprendre, une flamme de bougie (posée, comme dans un tableau de Gerhard Richter, sur une tête de mort, ici baroque et dorée). Ainsi la pensée flotte aux vents stimulants, encagée dans son corps de roseau, ployée au vent de la musique, rythmée à sa gestuelle corporelle endiablée, la pensée se laisse aller. Avide de vies réelles, assoiffé de sensations plurielles, chacun s’oublie, et retrouve dans la transe tout ce que la vie ne lui trouve pas. Tel le poulpe, telle la seiche, souples, ondulants, jeune femme et jeune homme dansent les pieds sur la tête, perdus dans le reality- show de leur propre vie, désirant davantage leur image qui se reflète dans le miroir que celle de l’autre, hétérogène, simple décor. Jouant des illusions et des apparences, immergé dans ce réservoir sonore, dionysiaque, chacun échappe, pour un temps toujours trop bref, aux obligations moins ensorcelantes d’une réalité par trop décevante. Les intitulés de cette série parlent d’eux-mêmes : La Boxe de l’homme soûl, Payetonloyer ou Jem’enfous.
Pour Aristote, L’homme est un animal raisonnable, mais vivre sans folie n’est pas bien raisonnable, même si celle-ci est patentée. Après tout, la réalité courante n’en est-elle pas une aussi, une folie sur laquelle tout le monde s’accorde. De ces corps lovés, peints au premier plan, des figures improbables surgissent. Sorte de tatouage, arabesques évanescentes, ces dessins de lumière éphémères convoquent ceux de Picasso réalisés dans des chambres noires. Ils semblent s’être furtivement échappés des personnages pour échouer sur la surface du tableau. Monstres, animaux, anges ailés confondus, se superposent, s’impriment sur la peau de la peinture comme sur un tee-shirt. Ils exorcisent l’éros dans sa jouissance à penser, libéré de ses gravités.
Des bulles, des billes de lumières, des phosphènes virevoltent sur la toile. Multiples, bariolées, en avant ou arrièreplan, elles figurent ce qu’il y a de plus vital contre l’obscurité. En prise directe avec la scène peinte, elles alertent la rétine de l’intérieur du tableau.
Tout homme qui cherche à éviter des missions de combat est sain d’esprit, et ne sera pas dispensé de vol.
Catch 22
de Mike Nichols (1970),
d’après la nouvelle de Joseph Hiller.
RODOX/ BONDAGE
Quatre types de punitions nippons,
Ce nu ligoté, saucissonné, suspendu comme un jambon,
Déphasage/ rephasage de l’hétérogène,
Un sujet puissant de l’histoire de l’art, le « boeuf écorché ».
J’ai toujours pensé que j’aurais été brûlée au temps où on brûlait les gens qui avaient des attitudes trop mystérieuses pour les autres, lance, pince-sans-rire, la réalisatrice Catherine Breillat. La série des Rodox court-elle aussi le risque de ne pas être comprise par tout un chacun ? Par exemple, cette scène de bondage, cette femme nue ligotée, saucissonnée, suspendue comme un jambon la tête en bas. Il convient, à ce sujet, de se rappeler l’origine asiatique de cette pratique érotique qui remonte à la culture japonaise du quinzième siècle, et au code pénal nippon qui prévoyait quatre types de punitions pour ses prisonniers. Celle-ci, avec l’attachement par des cordes, pouvait entraîner la mort.
Dans la série des Lumières, le corps disparaît, il ne subsiste quelque part, du corps, qu’une énergie métamorphique. Ici, dans l’ensemble de l’oeuvre en question, esprit ou corp sont toujours conditionnés à une altérité, à une époque, à un environnement ; de même, le corps est conditionné à l’esprit, et l’esprit au corps. L’esprit, dans cette scène de bondage, ne commande plus au corps, il en est séparé, son corps soumis dans son entier au bon vouloir de l’autre. L’esprit, par là même, se détache du corps attaché, et le rapport à la séduction anéanti.
C’est ce principe de déphasage/rephasage de l’hétérogène, déjà évoqué plus haut, qui réapparaît dans un autre contexte. Ce n’est plus l’espace, ce n’est plus le temps, mais un rapport à l’hétérogène lié à la possession charnelle. En terme de peinture, cela se traduit par moins de transparence et par davantage de matière. Le travail du fond est moins mis en avant, et le corps plus présent. Difficile aussi de ne pas ricocher sur un sujet puissant de l’histoire de l’art, au boeuf écorché, un clin d’oeil à Rembrandt, à Van Lelienbergh, à Soutine, à Bacon.
LUMIERES
Halos « glam électro » dans l’hétérogène peint,
Quand la peinture sépare l’énergie et sa matière,
L’une s’échappe, l’autre s’y imprègne.
On dit que lorsque Jean Rouch ricanait, la caméra s’agitait.
De même, quand Hervé Ic peint des lumières, des halos éclairent. Ces lumières, dans leur grandeur halogène, agissent autour d’un astre central, motif psychique et irradiant. Intense, évanescent, il sépare dans la peinture l’énergie et la matière. La première s’échappe du tableau, la seconde s’y imprègne, continuum d’un visuel qui s’oppose à l’image identifiable.
Sphère palpitante, rétine béante, lumière ogresse.
Ce qui, dans des travaux précédents, formulait un motif d’accompagnement est devenu dans cette nouvelle série un sujet de la peinture à part entière. Sphère palpitante, rétine béante, lumière ogresse, phosphène hallucinose ne restreignent pas la surface de la toile, mais jaillissent comme une fumée du tableau.
Elles exercent une attraction telle qu’elles dévorent la scène, tourbillons centripètes qui se déchaînent en effets envoûtants.
Briser le noyau de l’image
et en retirer la lumière amande,
De grands formats favorisant la contemplation.
Hervé Ic brise le noyau de l’image pour en retirer la lumière amande. Picturalement, les bulles de lumière accusent des effets de solarisation qui réveillent par le fond la dynamique du tableau. Elles absorbent l’image de petits néants blancs, assimilant la gestuelle, le peint et le non-peint, le représenté et son leurre. De même que John Cage a fait du silence la matière sonore de sa recherche, la lumière est devenue dans cette série récente le sujet d’un propos pictural. Les formats sont grands, sans équivoque, ils favorisent la contemplation.
Un noyau blanc, très chaud,
Des extensions jeunes qui ouvrent le tableau,
Peintures glycérophtaliques, parfois à l’huile, parfois à l’eau,
Un procédé cher à Leonardo : le sfumato.
La peinture, c’est de la matière, et la matière est faite d’ondes, de halos sphériques. On y voit des sortes de grands aplats, cerclés, avec un noyau blanc, très chaud, incandescent au milieu, comme le serait un fer chauffé à son plus haut niveau. C’est ce coeur central qui active des spectres lumineux, et dont le pourtour est auréolé ‘d’ondelettes’ au nuancier plus froid, rouge, orange, rose, magenta, mauve, et, sur le pourtour, presque noir. Ces couleurs sont comme soumises à un effet d’amplification, expulsant, par raie d’émission, la lumière vers l’extérieur du champ du tableau. Un propos qui pourrait évoquer les tableaux tardifs de Mark Rothko. Mais ici il ne s’agit pas de fenêtres qui se referment sur la lumière de l’existence, ni de plans horizontaux, ce sont des extensions plus jeunes qui au contraire ouvrent le tableau. Hervé Ic travaille par techniques de recouvrements, à base d’essence de peintures multiples, parfois glycérophtaliques, parfois à l’huile, parfois à l’eau. Il use de ces expériences techniques, de surfaces stationnaires planes qui agissent les unes sur les autres, et par effets d’absorption. Par ces recouvrements successifs, l’artiste prolonge, mais avec des ingrédients qui ne sont plus les mêmes, une technique ancienne qu’il renouvelle, un procédé utilisé dans la peinture d’icône, cher d’ailleurs à Leonardo : le sfumato.
Telle une étoile de Zorio,
Des sensations spatiales,
Une sorte d’autorité, fascinante, sinusoïdale,
Plus l’image d’une peinture, mais sa source lumineuse.
Entre la matérialité radiante de la peinture et l’immatérialité illuminante des couches successives posées sur la toile, là où il pourrait y avoir obstacle, il y a réflexivité, une convergence qui s’établit dans la matière même, et par le traitement organisé de la peinture dans son cercle vibratoire. C’est la nuit qu’il est beau de croire en la lumière, songeait Edmond Rostand, et c’est dans la nuit aussi que brillent les étoiles de Zorio. Les peintures de lumière, de jour, de nuit, éclairent, dans une sorte de transe visuelle sinusoïdale.
Ces tableaux ne se donnent pas à voir, ils imposent une force dont on ignore la cause, présence d’une volonté transfigurée, volonté de puissance du tableau. Il en résulte une sorte d’autorité fascinante, opprimant le regard, et qui produit une sensation totale, spatiale. Ces oeuvres ne sont pas des peintures abstraites, elles matérialisent davantage des images dégradées ou rétrogradées à l’essentiel, pulsions jaillissantes d’entités absentes.
Les peintures de lumière poussent le spectateur hors de toutes conditions et conventions sur la lecture d’un tableau. Elles illuminent, égarent, aveuglent, hallucinent peut-être. La lumière ainsi sertie dans une esthétique de peinture « glam techno » en oublie la pesanteur de sa matière. En renvoyant ainsi son spectre, elle n’est plus le sujet éclairé d’un tableau, mais le tableau éclairant d’un sujet qui peint. Ainsi, dans cette oeuvre, je ne regarde plus l’image d’une peinture, mais je regarde la source lumineuse qui en a fait un tableau.
Frédéric Bouglé, 2007
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Le jour ou la guerre s’arrêta
auteurs : Frederic Bouglé, Stéphanie Katz, Anne Malherbe, Marc Molk
édition : Le Creux de l’Enfer, collection mes pas à faire au Creux de l’enfer
17×12 cm, français | anglais, 184 pages, octobre 2007, ISBN 2914307192