« Ou comme un être fait pour cette vie de l’eau »
par Marc Molk,
septembre 2007
collection mes pas à faire au Creux de l’enfer, 2007
Lorsque John Everett Millais a peint son Ophélia en 1852, il savait ce qu’il mettait dans l’eau. Il mettait dans l’eau Hervé Ic. Ophélie s’est noyée on ne sait comment de n’être pas aimée d’Hamlet qu’elle voulait son amant.
Avant de tomber elle tressait des fleurs douteuses entre elles, Hervé les a peintes. Dans sa noyade, retenue par ses vêtements, elle a dû se débattre comme un boxeur flottant parmi les œufs de grenouille et les dragons d’étang. Elle était folle, la pauvre, et le visage des gens lui paraissait monstrueux. Il était souvent traversé de structures ou de dégoulinures fileuses et de reflets nitreux.
Il faut se placer en face du vieux tableau et fouiller son marais pour voir apparaître au pied des roseaux ou juste sous la berge les autres tableaux. Elle dort, définitivement, mais sous ce corps mille mètres d’eau, et de cet immense réservoir on aperçoit son portrait de dos. Hervé se cache ici et là, dans les voiles gris de sa robe mouillée qui s’ouvrent, s’étirent et se froissent.
Ses yeux humides entrouverts regardent le ciel et nul doute que ses prunelles sont la copie de belles sphères bleues. L’iris bordé devient morne et blanchi. On devine sa lumière déclinante fidèle à son entéléchie.
Elle aurait pu vivre et s’animer dans les soirées galantes. En Rodox dénudée souriante aux hommes en pantalon. Sur des tapis de fauves elle aurait ricanée. Mais elle est morte sans soucis.
« Tandis qu’elle chantait des bribes de vieux airs,
Comme insensible à sa détresse,
Ou comme un être fait pour cette vie de l’eau »
William Shakespeare, Hamlet IV.
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Le jour ou la guerre s’arrêta
auteurs : Frederic Bouglé, Stéphanie Katz, Anne Malherbe, Marc Molk
édition : Le Creux de l’Enfer, collection mes pas à faire au Creux de l’enfer
17×12 cm, français | anglais, 184 pages, octobre 2007, ISBN 2914307192